Les funerailles d’un grand chef
Racontées par Sirandian KEITA
(Extraits du texte transcrit par Lancéni Balla Keita)
Chez nous à Nana-Kéniéba, certaines funérailles comme celles des grands parents sont vécues comme une tristesse, mais aussi comme une joie. A priori cela peut sembler paradoxal, mais c’est une réalité de notre culture au Mandé.
En effet, le grand parent ayant vécu une vie faite de durs labeurs, de courage, de hauts faits, de culture de la paix, de raffermissement des relations sociales est un repère dans le village.
Sa maladie est ressentie avec tristesse dans tout le village et même au-delà du village. Il est très fréquent, que certaines relations viennent d’autres villages pour lui rendre visite et témoigner leur affection à la famille. Les Guérisseurs traditionnels qu’ils soient chasseurs ou charlatans emploient leurs sciences pour le guérir.
En cas de décès, la nouvelle toute fraîche se répand dans le village et les villages voisins comme une traînée de poudre. L’annonce est faite à travers de grands tambours dont les fonds sont fermés avec de la peau de vache tendue sur laquelle on frappe avec deux bâtonnets. Le son produit par ces tambours annonce toujours un grand malheur : l’invasion du village par l’ennemi, ou le décès d’un grand chef dans le village, ou du chef de village.
A l’audition de ce son, produit par le tambour, toute affaire cessante dans les champs, tous les gens se rendent immédiatement au village pour en savoir plus. Les villages environnants qui entendent les sons des tambours envoient vite un émissaire pour s’informer. Cette pratique était un moyen efficace de communication dans un passé récent, avant la vulgarisation de la bicyclette, de la moto, et même de la radio.
C’est au même moment, que les préparatifs des funérailles commencent avec le conclave des anciens du village, ses amis et parents pour décider du moment de l’enterrement, du protocole de réception de nombreuses personnes qui participeront aux funérailles, la réception des dons en nature (mil, riz, arachide, moutons, chèvres, poulets, bœufs etc.…), mais aussi, de la désignation des émissaires qui doivent aller officiellement informer les villages voisins.
Les funérailles dans notre localité sont des occasions de mesurer le degré d’estime, que les personnes ont envers la famille du défunt. C’est une occasion unique en son genre, de remercier la famille du défunt, pour tout le service rendu à la communauté. C’est ainsi que les louanges ne tarissent pas de la bouche des hommes de caste, considérés comme les baromètres de la solidarité dans le village.
A l’arrivée de nombreuses foules, le cadavre couvert de cotonnade est enterré dans son propre vestibule ou au lieu indiqué par lui-même avant sa mort. Un tel enterrement s’accompagne toujours de slogans des hommes de caste (griots, forgerons etc.….). Généralement, cet enterrement à domicile est fait pour que demeure toujours dans la famille, l’esprit de courage, de bravoure, de serviabilité du défunt. Autrement, en allant déposer son corps en dehors de la famille, toutes ces vertus, selon l’imaginaire populaire, s’envolent de la famille.
Aussitôt à l’annonce du décès, de nombreuses femmes présentes à l’occasion s’affairent autour des animaux égorgés pour préparer des plats copieux pour les participants aux funérailles. Tous ceux qui sont présents mangent à leur faimi. Par cet acte, l’imaginaire populaire pense que le défunt aura la miséricorde du tout puissant.
Les petits enfants du défunt, et tous ceux qui se réclament comme tels par alliance prennent de vieilles calebasses, sur lesquelles ils tapent avec des baguettes de bois en dansant et en chantant. Ils sillonnent tout le village. Ils expriment par plaisanterie leur joie suite au décès de leurs grands-parents, qui selon eux les empêchait de s’épanouir. Et maintenant, qu’il laisse une place vacante à eux, désormais les petits-enfants pourront connaître leur période de gloire enfin. Ils se déguisent à l’image du défunt de son vivant, prononcent les mêmes phrases et exécutent les mêmes gestes.
Ensuite commencent les remerciements à l’endroit de tous ceux qui sont venus pour les funérailles. Le jour du sacrifice à la mémoire du défunt est fixé avant que la foule ne se disperse. Cette date peut être proche (une semaine) ou lointaine (un à six mois) suivant la capacité financière de la famille à supporter ces dépenses.
Au cours de cette cérémonie, à l’arrivée comme au départ, chacune des délégations venues pour la circonstance, est reçue avec considération dans le vestibule de la famille. Chaque délégation présente le don qu’elle a apporté avec elle, comme apport aux dépenses des funérailles. Cette occasion est saisie pour rappeler les bonnes relations qui ont existées entre les deux entités depuis for longtemps. En retour la délégation reçoit des remerciements mais aussi des noix de colas qu’elle apportera au chef de famille. Au troisième jour des sacrifices, les dernières délégations partent du village mettant ainsi fin aux cérémonies des funérailles.
Auteur : Lancéni Balla Keita
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur